Découvrez le filtrage

Introduction
Suite directe de l’article À la découverte des impédances, nous allons ici voir un cas extrêmement commun de leurs applications. Concrètement, nous allons voir ce qui se passe lorsque l’on associe plusieurs impédances entre elles, de façon à créer des filtres. Un filtre freine ou laisse passer certaines fréquences, peut être volontaire ou non (défauts de certains composants …), donc il s’agit là d’une notion fondamentale en électronique !
Comme vous devez vous en douter, la lecture de l’article À la découverte des impédances vous est vivement recommandée avant de commencer celui-là … nous allons en effet faire très souvent appel à des notions que l’on a vu dedans ! Même si vous n’y avez pas tout compris, il est important d’avoir les bases et d’avoir des idées sur les mécanismes des impédances. On ne fera pas de maths poussées ici, nous allons juste passer en revue quelques filtres de base, accompagnés de notions incontournables. Prêts ? Alors c’est parti !
Qu’est-ce que le filtrage ?
Petit rappel sur les impédances
Dans le précédent article sur les impédances, nous avions vu que certains composants ont un comportement variable selon la fréquence. Suivant cette dernière, ils peuvent être plus ou moins passants, et induire un déphasage plus ou moins important. Faisons un petit récapitulatif rapide sur les 3 composants passifs élémentaires :
- La résistance a une impédance purement réelle : elle garde le même comportement quelque soit la fréquence, et n’introduit pas de déphasage. Son impédance est égale à sa valeur.
- Le condensateur a pour impédance 1/(jCω). Elle est donc complexe, de partie imaginaire négative. Ainsi, on va avoir déphasage du courant par rapport à la tension de -90°. De plus, il ne laisse pas passer les basses fréquences, mais devient passant en haute fréquence.
- La bobine a pour impédance jLω. Elle est donc complexe, de partie imaginaire positive. Ainsi, on va avoir déphasage du courant par rapport à la tension de +90°. De plus, elle laisse passer les basses fréquences, mais devient bloquante en haute fréquence.
Voilà les principales choses à connaître pour mieux suivre cet article ! Un filtre n’est qu’un assemblage de ces composants et avoir ces notions en tête vous permettra de comprendre “avec les mains” ce qu’il fait.
Technologies de filtre
En électronique, on peut travailler avec différents technologies de filtres. Je vous propose d’en voir les principaux pour mieux cerner ceux que l’on va étudier dans cet article.
Filtre passif
Les filtres passifs sont les filtres que nous allons principalement voir ici. Ils ne sont composés que des éléments passifs élémentaires (résistance, condensateur, bobine). Ils ne demandent pas d’apport d’énergie supplémentaire et n’ajoutent pas d’éventuels distorsions ou bruits *. Par contre, ils peuvent atténuer un signal y compris dans les fréquences que l’on souhaite garder. De plus, plus la fréquence est basse et plus les composants peuvent être gros, encombrants et onéreux ! Ce sont toutefois les filtres les plus simples à étudier, c’est pour cela que l’on va commencer par ceux-là.

* ceci n’est toutefois pas toujours vrai. Les résistances apportent un bruit dit “thermique” dont la puissance augmente avec la température, et on peut parfois rencontrer des phénomènes dits “d’intermodulation passive”, sur les filtres passifs en radiofréquence sur des puissances importantes. Mais par rapport aux objectifs de cet article, on peut bien négliger tout cela ! Il y a peu de chances que vous soyez confronté(e) à ce genre de phénomènes.
Filtre actif
Les filtres actifs intègrent, en plus des composants passifs, des éléments actifs tels que des amplificateurs opérationnels ou des transistors. Cela permet d’amplifier certaines fréquences ou de faire dans certains cas des filtres contrôlés en tension. Des caractéristiques intéressantes voire indispensables selon le domaine ! En revanche, les composants actifs apportent parfois du bruit et des distorsions supplémentaires, et demandent une alimentation pour fonctionner.

Filtre numérique
Enfin, on peut également trouver des filtres numériques. Généralement, on les retrouve sur des composants dédiés (Digital Signal Processor : DSP) ou sur des composants programmables. Plus concrètement, ce sont des algorithmes ou des circuits intégrés qui vont appliquer des retards plus ou moins importants à des échantillons de signal, les atténuer ou les amplifier, puis les combiner en un signal sortant. Leur conception peut être ardue car très demandeuse en mathématiques, et sort entièrement du cadre de cet article ! Contrairement aux filtres précédents, ceux-ci n’acceptent que des signaux numériques. Il faudra donc, selon les besoins, veiller à échantillonner le signal à une fréquence et une résolution suffisantes et avoir un processeur correctement dimensionné pour faire ces opérations. Un tel filtre est nécessairement actif, et permet une extrême miniaturisation, une immunité au bruit et aux distorsions accrue.

Types de filtres
Revenons sur la définition que nous avions donné au filtrage :
Filtrer revient à freiner ou laisser passer certaines fréquences, de façon volontaire ou non, avec un gain plus ou moins important.
“Filtrage”
Cette définition met en lumière deux aspects sur lesquels on va devoir raisonner : le domaine fréquentiel et le gabarit du filtre.
Le domaine fréquentiel
Pour le domaine fréquentiel, nous en avons brièvement vu la surface dans l’article sur les signaux périodiques : nous y avons vu qu’un signal, à l’image de la lumière blanche passant à travers un prisme, est composé d’une infinité de sous-signaux sinusoïdaux. L’ensemble de ces signaux est appelé spectre du signal. Le spectre représente leur amplitude en fonction de leur fréquence, c’est ce que l’on appelle le domaine fréquentiel.

L’image ci-dessus a été obtenue quand j’ai essayé de refaire “en mieux” mon expérience de reconstitution de mouvement. Les signaux rouges n’ont pas été filtrés, et les bleus ont subi un filtrage (numérique) des hautes fréquences. On pourrait même tracer une courbe qui correspondrait à l’atténuation du filtre !
Nature et gabarit des filtres élémentaires
Et c’est justement là où je veux en venir. En effet, selon les fréquences que l’on cherche à filtrer, on peut distinguer plusieurs types de filtres ayant leur gabarit propre, en fréquence. Voyons un peu quelles sont les types de filtres de base !
- Les filtres passe-bas, comme leur nom l’indique, laissent passer les basses fréquences et coupent les hautes fréquences. C’est le type de filtrage présent sur l’image ci-dessus.
- Les filtres passe-haut font l’inverse, ils coupent les basses fréquences et laissent passer les hautes fréquences.
- Les filtres passe-bande ne laissent passer qu’une plage de fréquences définie. On peut les construire en associant un filtre passe-haut et un passe-bas.
- Les filtres coupe-bande laissent passer toutes les fréquences excepté celles dans une plage définie. Ils peuvent servir à retirer une fréquence parasite.
Représenter la réponse en fréquence d’un filtre
Maintenant que nous avons vu quelles sont les grandes familles de filtres, voyons un peu comment on représente, en électronique, l’allure de la réponse d’un filtre !
Le gain et les décibels
Comment quantifier la façon dont le filtre atténue, pour chaque fréquence, le signal ? Ça peut varier selon l’amplitude du signal entrant par exemple !
Et c’est pour cela que l’on introduit une notion qui est entièrement indépendante de celle-ci : le gain. Il se définit comme le rapport entre l’amplitude du signal de sortie, par celle de celui d’entrée pour une fréquence donnée.
G = \dfrac{A_s}{A_e}
Ce gain nous permet de connaître, à une fréquence d’entrée, par quel nombre sera multiplié l’amplitude du signal entrant !
On peut aller plus loin en l’exprimant en décibels (dB). En effet, cette unité logarithmique est intéressante puisqu’elle permet de “tasser” les grandes valeurs et rendre plus visibles les petites. Autre avantage, elle simplifie les calculs, car au lieu d’avoir à multiplier les gains de plusieurs filtres chaînés, de simples additions sont nécessaires !
Le gain précédemment défini s’obtient en dB par la formule :
G_{dB} = 20 \cdot \log(G)
Les diagrammes de Bode
En électronique, vous verrez systématiquement la réponse en fréquence d’un système quelconque (filtre, composant, amplificateur, etc.) sous la forme d’un diagramme de Bode.
Ces diagrammes combinent tout ce que l’on a vu jusqu’à présent : ils combinent un tracé du gain (presque toujours en dB) en fonction de la fréquence (ou pulsation). On y ajoute généralement un second tracé, qui représente le déphasage en fonction de la fréquence. Les fréquences sont toujours représentées en échelle logarithmique.

Ces diagrammes nous permettent de mettre en évidence des caractéristiques du circuit étudié. Ici, ce schéma nous permet de voir celles d’un filtre passe-bas (la même chose existe pour un filtre passe-bande). En effet, on peut relever deux choses :
La fréquence de coupure. C’est par définition la fréquence à laquelle le gain (en décibels) est de -3 dB (soit G = 0,707) par rapport à sa valeur maximale. Cela permet ainsi de définir une bande passante et une bande rejetée.
La pente du filtre permet quant à elle de définir si le filtre atténue “vite” la bande rejetée. On l’exprime en décibels par décade. Cette notion est intimement liée à celle d’ordre du filtre : -20 dB/décade pour un ordre 1, -40 dB/décade pour un ordre 2, etc. Ainsi, plus l’ordre du filtre est élevé, plus la pente est raide et plus vite il ratatine ce qu’on ne veut pas !
Réaliser un filtre
Trêve de théorie et de généralités, maintenant passons à du concret ! Voyons un peu comment on peut réaliser des filtres nous-mêmes.
Toutefois, j’ai une remarque importante à signaler : je ne ferai pas de maths poussées dans cet article ! Je ne donnerai que des formules de base, sans démonstration, pour vous permettre de dimensionner simplement des filtres basiques et vous donner une certaine “intuition” de ce côté-là. Je vous invite donc, si vous voulez concevoir des filtres plus complexes, à passer par un outil de simulation.
De plus, cette partie ne sera pas exhaustive sur toutes les formes possibles de filtres … Cet article n’en finirait sûrement pas sinon ! Mais ne vous inquiétez pas : après tout cela, vous serez assez armé(e) pour analyser n’importe quel filtre et en concevoir vous-même ! 😉
Avec une résistance et un condensateur : circuit RC
Ce circuit a été déjà en partie montré dans cet article, sous l’aspect temporel :
Ajoutons à présent ce que nous savons sur les impédances. On sait qu’en basse fréquence, le condensateur est bloquant et en haute fréquence, qu’il est passant. Il est ainsi aisé d’imaginer un pont diviseur de tension formé par la résistance et l’impédance du condensateur, et de distinguer deux types de filtres différents !

Pour ces filtres, la pulsation de coupure à -3 dB est l’inverse de la constante de temps. Ainsi, on peut en déduire la fréquence de coupure :
f_c = \dfrac{1}{2 \pi R C}
Comme il est décrit en temporel par une équation différentielle d’ordre 1, c’est un filtre d’ordre 1. Sa pente est donc de -20 dB / décade.
Avec une résistance et une bobine : circuit RL
Ce circuit a été déjà en partie montré dans cet article, sous l’aspect temporel :
Hum … À présent nous savons que la bobine est en quelque sorte complémentaire au condensateur ! Alors, comment en déduire les topologies de filtres possibles ? Même pas peur.

Même remarques que pour le circuit RC, puisque ce sont des circuits d’ordre 1. On exprimera donc la fréquence de coupure par la formule :
f_c = \dfrac{R}{2 \pi L}
Et donc, la pente sera également de -20 dB / décade.
Avec les trois à la fois : circuit RLC
De même, ce circuit a été abordé dans un article ultérieur. Et une fois de plus, ce circuit va nous donner du fil à retordre !
Cette fois-ci, nous aurons affaire à un circuit du second ordre. Il va pouvoir introduire de la résonance, qui est une sorte d’auto-oscillation qui va s’ajouter à notre signal, et ainsi ajouter un pic à notre réponse en fréquence.

Et si vous vous souvenez de l’article sur la bobine, cette capacité d’auto-oscillation est quantifiée par une valeur : le facteur de qualité (Q) ou le facteur d’amortissement (m).
m = \dfrac{R}{2L} ; Q = \dfrac{1}{2m}
Pour un filtre, retenons que plus le facteur de qualité est grand, et plus le pic de résonance sera haut et étroit.
Et pour rappel, la fréquence de résonance du circuit RLC est donnée par cette formule :
f_0 = \dfrac{1}{2 \pi \sqrt{LC}}
On peut également jouer sur la topologie du circuit pour obtenir différentes natures de filtre.

Cela fait pas mal de choses, je vous l’accorde … Psst, j’ai trouvé une fiche mnémotechnique si ça vous intéresse ! 😉
Conception d’un filtre pas à pas
En guise d’application de tout ce qu’on a vu jusqu’à présent, je vous propose un exemple de conception de filtre passif. Cela nous permettra de faire des choix de topologie de filtre, des calculs de valeurs de composants, et une vérification du résultat final !
Analyse du problème et recherche d’une solution
Le travail de tout ingénieur est, bien évidemment, de répondre à des besoins par une solution technique. Alors, pensons comme tel et cernons ce qu’il faut faire ! 👨🔬
Afin de trouver un exemple de filtre à réaliser, je vous propose la mise en situation suivante. Vous souhaitez extraire l’information portée par un signal en Modulation par Largeur d’Impulsion (PWM ou MLI). Ce signal peut, par exemple, être en sortie d’un amplificateur de classe D ou d’une broche d’un Arduino. Prenons ce deuxième cas de figure.
Un point sur le PWM
Un signal en PWM est un signal carré de plus haute fréquence que le signal qui nous intéresse. L’information qu’il transporte peut être une tension continue ou un signal de plus faible fréquence. Elle est portée par le rapport cyclique de ce signal, d’où le nom de ce type de modulation.

Voyons de plus près ce signal, dans le domaine fréquentiel, afin que l’on voie ce que l’on a à filtrer !

On peut remarquer que l’on retrouve bien notre signal de départ dans tout ce fouillis. Ainsi, si on souhaite le retrouver, on n’a plus qu’à supprimer tout ce qui suit. Il faut donc un filtre passe-bas dont la fréquence de coupure est inférieure à celle du signal porteur. Dans l’exemple de l’image, on pourrait par exemple la choisir à 100 Hz !
Quel filtre adopter ?
Dans le contexte de notre exemple, supposons que la fréquence du signal porteur soit de 30 kHz. Quant au signal que l’on cherche à générer, supposons qu’il soit sinusoïdal, d’une fréquence comprise entre 1 et 1000 Hz. On devra donc construire un filtre passe-bas, d’une fréquence de coupure de 15 kHz (choix arbitraire). De plus, comme on souhaite avoir un sinus le plus pur possible, on va prendre un filtre d’ordre 2. Le budget que l’on se donne nous autorisera également l’utilisation d’une résistance, d’une bobine et d’un condensateur. Ce filtre ne devra pas apporter de résonance, il devra purement et simplement rejeter tout au-delà de 15 kHz.
Détermination des valeurs des composants
Sur le tableau suivant, j’ai regroupé toutes les caractéristiques de notre petit cahier des charges.
Topologie du filtre | RLC passe-bas |
Fréquence de coupure | 15 kHz |
Ordre du filtre | 2 |
Valeur maximale de Q | 10-5 |
Valeur imposée pour L | 470 µH |
Comme vous pouvez le voir, je me suis permis d’imposer une valeur pour l’inductance de la bobine. Après tout, une bobine peut se révéler chère, donc autant choisir une valeur courante et passe-partout !
À présent, nous pouvons à partir de ces caractéristiques en déduire les valeurs de R et C. En effet, nous connaissons des équations dont ils dépendent :
\begin{cases} Q &= L / R \\ f_0 &= \dfrac{1}{2 \pi \sqrt{LC}} \end{cases} \Leftrightarrow \begin{cases} R &= L / Q \\ C &= \dfrac{1}{L(2 \pi f_0)^2} \end{cases}
Et enfin, tout n’est que calcul ! J’obtiens finalement R = 47 Ω et C = 240 nF, que je prendrai à 220 nF.
Simulation et optimisation du filtre
Maintenant que nous avons nos valeurs de composants, je vous propose de simuler sur ordinateur ce filtre ; on a fait des hypothèses simplificatrices qui peuvent modifier les résultats. Assurons-nous que tout tienne la route !

Le filtre a été ainsi saisi sur Qucs-S avec les valeurs précédemment déterminées, et simulé de 10 Hz à 24 kHz. Son diagramme de Bode est donné ci-dessous.

Bon, ce n’est pas trop mal pour un premier essai ! On peut toujours décaler un peu la fréquence de coupure vers la droite en réduisant la valeur du condensateur, ou encore la ramener vers la gauche en l’augmentant. Malgré tout, le filtre coupe à -3 dB à 20 kHz, cela me satisfait suffisamment. Toutefois, je ne suis pas trop satisfait de ce léger pic de résonance à 10 kHz environ. C’est pourquoi je vais augmenter un peu la valeur de la résistance, à 68Ω par exemple. Voyons un peu le résultat ainsi obtenu :

Ah, c’est effectivement mieux ! Ce filtre répond de cette manière presque parfaitement à nos besoins.
Conclusion
Voilà, ce long article bien dense est enfin terminé ! Nous avons en effet vu de nombreuses notions importantes relatives aux filtres :
- nous avons vu effectivement vu des notions de base sur les filtres, à savoir le principe du filtrage, les différentes natures de filtres et comment ils peuvent être construits ;
- on a également vu comment quantifier la plupart des paramètres des filtres, comme leur gain, leur fréquence de coupure, leur résonance …
- et enfin, nous avons vu un exemple concret de filtre passif qui nous a permis de mettre en pratique des notions que l’on a vu au cours de cet article.
À présent, les filtres devraient paraître moins obscurs pour vous ! Bien qu’ils pourraient faire l’objet d’articles futurs, et être un sujet récurrent, vous voilà déjà bien paré à affronter les arcanes du filtrage analogique. Nous avons réussi à dompter les impédances pour en faire quelque chose de puissant ! Alors, lancez-vous et réalisez des choses géniales ! 💡📡
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