Réalisation : une sonde RF passive

Réalisation : une sonde RF passive

Assemblage de la sonde RF passive.

Contexte du projet

Plus j’avance dans mes études et moins les radiofréquences me semblent être de la magie noire. Je me découvre une passion pour ce domaine et les idées de projet fusent. J’ai également récemment passé ma licence de radioamateur, donc voilà une excuse de plus pour bidouiller ce genre de choses.

Malheureusement, le matériel de mesure RF est cher. Mais en étant malin, il est quand même possible de s’équiper pour trois fois rien ! Dans cet article, je vous partage une de mes dernières réalisations. Une petite sonde RF passive, pouvant être branchée à n’importe quel multimètre. Et cerise sur le gâteau, elle est très économique. Elle m’a coûté moins de 10€ à fabriquer.

Cahier des charges

Cette sonde est passive, elle n’a donc pas besoin d’être alimentée pour fonctionner. Ce qui permet de s’affranchir d’une alimentation supplémentaire. Il n’y a qu’à la brancher à un multimètre ordinaire pour faire des mesures !

Afin de bénéficier d’une grande souplesse d’utilisation, son impédance d’entrée doit être très grande et sa capacité parasite assez faible. Elle devrait donc être vue telle quel comme un circuit ouvert. On pourra par la suite venir aisément lui ajouter une charge en parallèle.

Idéalement, elle doit convertir l’amplitude du signal mesuré en une tension proportionnelle à la tension efficace. Elle devrait également avoir des temps de réponse « rapides » (bien que je n’ai pas d’exigence chiffrée de ce côté-là).

Elle se basera sur une conception simple et courante, à savoir le détecteur à double diode Schottky. Avec un faible nombre de composants et un circuit imprimé peu cher, on pourra même se permettre d’acheter des petits accessoires qui vont bien (charge, T de jonction, câbles, atténuateur) sans faire exploser le budget.

Conception

Schéma

Schéma de la sonde.

La sonde est construite sur un schéma très simple et courant. Il s’agit d’un redresseur de tension fonctionnant à haute fréquence. D1 et D2 sont des diodes Schottky conçues pour cette application. Utilisées sous certaines conditions, on peut les faire fonctionner jusqu’à une dizaine de GHz ! De plus, leur seuil de déclenchement très bas les rend très sensibles.

C1 est un condensateur dit de découplage. Il sert à séparer les courants continus du montage de ceux présents à l’extérieur. Les deux diodes permettent de laisser passer les alternances positives du signal, et d’ainsi charger C2. Enfin, R1 permet de jouer un peu sur la charge du condensateur, et d’avoir un peu plus de contrôle sur la réponse de la sonde.

J1 est un connecteur SMA directement soudé à la carte. J2 est un connecteur BNC vissé au boîtier de la sonde. J’ai choisi d’utiliser ce connecteur car il évite les interférences qui peuvent gêner les mesures. De plus, il est répandu, simple et de dimensions assez réduites !

Simulation

Après avoir consulté différents articles, j’ai commencé à étudier la faisabilité d’une telle sonde. Pour cela, je suis passé par une phase de simulation. J’ai décidé d’automatiser un peu les nombreuses simulations nécessaires à l’aide de la bibliothèque PySpice.

Réponse fréquentielle simulée, pour un signal d’entrée de 1V RMS. L’axe des abscisses est gradué en MHz.

Une de mes grosses erreurs a été de me concentrer uniquement sur la conversion alternatif/continu en fonction de la fréquence. Le fait d’ignorer l’impact des capacités parasites sur l’impédance d’entrée s’est un peu retourné contre moi, comme vous le verrez dans la partie « mesures ».

Circuit imprimé

Le circuit est fait en double face et les vias en bordure permettent de créer des sortes de « blindages internes » au PCB. Seul point probablement exagéré si je peux dire, a été de retirer le vernis du côté des diodes.

Vous verrez généralement que les circuits micro-ondes ne possèdent pas de vernis au niveau des pistes à haute fréquence. Cela sert à éviter des pertes en plus. La RF est pleine d’étrangetés et de caprices ! C’est ce que j’ai souhaité faire bien que cela a été peu utile.

Réalisation

Le circuit imprimé a été fabriqué par un fabriquant chinois bien connu, celui qui fait des PCB pour moins de 2€ les 5 (non pas de publicité gratuite 😅). C’est la première fois que j’utilise ce service, et je dois reconnaître que je suis amplement satisfait du résultat !

Le circuit imprimé est de qualité professionnelle.

Il y a deux choses que j’ai regretté durant l’assemblage : ne pas avoir un fer à souder avec une panne assez fine, et avoir retiré le masque de soudure du côté des diodes. Finalement, je doute que cela ait eu un effet sur d’éventuelles pertes diélectriques en plus (voir les mesures), et l’assemblage n’en a été que plus pénible ! Pas trop, tout de même. Cette petite sonde RF se monte assez vite, et si vous êtes un minimum expérimenté vous devriez pouvoir souder les composants en un petit quart d’heure.

Premier prototype assemblé (oui c’est moche 😅)

Au moment où j’écris cet article, j’ai réalisé deux prototypes de la sonde. Le premier a un condensateur C2 1000 fois plus grand que la normale (1 µF au lieu d’1 nF, merci les gens qui écrivent mal …) et le second a un condensateur C2 aux bonnes dimensions. Pour ce dernier, j’ai simplement réutilisé le même boîtier et connecteur BNC (d’où les soudures restantes sur la photo ci-dessus).

Assemblage final et mise en boîtier (second prototype, les soudures sont moins laides)

J’ai opté pour des petits boîtiers en aluminium que j’ai trouvé sur AliExpress à un prix abordable. Il permettront de donner au projet un côté plus « fini » tout en ajoutant un blindage supplémentaire (en théorie). Le connecteur BNC est relié à la carte par deux fils torsadés ensemble. Le tout est un peu serré mais ça rentre !

Mesures & Caractérisation

Le but de cette sonde est, rappelons-le, de convertir l’amplitude d’un signal RF en une tension continue. Il serait donc intéressant de savoir si elle en est bien capable, n’est-ce pas ?

Amplitude vs. tension de sortie

Commençons d’abord par vérifier quelque chose de crucial : comment la sonde restitue-t-elle l’amplitude du signal qu’elle reçoit ?

Mon premier test s’est fait d’une façon pas très optimale, certes, mais a quand même permis d’obtenir des résultats intéressants. En branchant mon générateur de fonctions à la sonde, avec et sans charge, à 1 et 10 MHz, je fais varier l’amplitude. Après avoir saisi les mesures dans un tableur et quelques calculs, j’obtiens les résultats suivants.

À ces fréquences, on constate que le comportement de la sonde est très linéaire, malgré une pente pas tout à fait unitaire. Les mesures restent à prendre avec quelques précautions : j’ai utilisé l’affichage de mon générateur de fonctions pour connaître l’amplitude. Or, sa précision reste … discutable. Ces résultats sont quand même largement satisfaisants pour ce que j’attends de la sonde : estimer rapidement, de façon relativement fidèle, le niveau d’un signal RF.

Toutefois en RF, on mesure généralement des puissances et non des tensions. À partir des mesures ci-dessus et en appliquant un calcul expliqué un peu plus loin, on peut en tirer une courbe d’étalonnage tension DC/puissance appliquée.

Impédance d’entrée

Un autre point très important, c’est comment sera perçue notre sonde par le système sur lequel on fait notre mesure. Souvenez-vous, il n’existe pas d’appareil parfait, et même un appareil de mesure qui théoriquement n’a pas d’impact sur un circuit, possède bel et bien des défauts qui peuvent fausser notre mesure !

En ce qui nous concerne ici, cette sonde aurait idéalement une impédance d’entrée infinie, autrement dit elle serait perçue comme un circuit ouvert. Ce qui permet de s’insérer en parallèle d’un circuit « perturbable » (oscillateur par exemple) sans pour autant le rendre fou !

De plus, en radiofréquences, on préfère généralement terminer chaque ligne de transmission par une charge adaptée (typiquement : 50Ω). Cela évite les réflexions d’ondes (et donc, le phénomène d’onde stationnaire) et permet de mesurer des puissances RF, plus courantes que des tensions ou des courants. Ici, on pourra insérer grâce à un T une charge de 50Ω en parallèle de la sonde. Si tout va bien, la sonde restera « invisible » du reste du circuit, et tout ce que l’on obtiendra sera la puissance délivrée à la charge, qui se déduira par la formule suivante :

P = \dfrac{V²}{R} [W]

Avec V la tension DC lue et R l’impédance de la charge.

J’ai effectué ces mesures à l’aide de mon NanoVNA, selon le montage suivant :

Mesure à l’analyseur de réseau vectoriel (il n’est pas calibré, ignorez l’étrange spirale à l’écran). Ici, le T SMA avec la charge sont présents.

Le coefficient de réflexion : |S11| de la sonde

Les mesures ont été acquises à l’aide du logiciel NanoVNA Saver. L’affichage des paramètres S a été fait à l’aide de la bibliothèque Python Scikit-RF. Seul un petit filtrage des mesures a été fait pour qu’elles soient un peu moins bruitées.

Le module du coefficient de réflexion de la sonde. Il est très proche de 0 dB, ce qui traduit une réflexion quasiment totale. C’est bon signe ici. 😄
L’abaque de Smith montre que c’est moins bon. ☹️ L’impédance devient très capacitive quand la fréquence augmente.

Si on regarde d’abord les mesures de la sonde « nue » (sans la charge en parallèle), on se retrouve confronté au souci de la capacité parasite. Sur l’abaque de Smith, la courbe se promène sur la partie inférieure, qui correspond à une impédance d’entrée capacitive. Cela peut gêner les mesures. Toutefois, on remarque que la différence entre le prototype 1 et le prototype 2 est minime.

Avec une charge en parallèle. On arrive à avoir un coefficient de réflexion raisonnablement faible en dessous des 200 MHz, au delà ça se dégrade fortement.
La capacité parasite continue de faire des siennes !

Là encore, tout n’est pas rose même si la sonde reste exploitable jusqu’à 200 MHz environ. À 1 GHz, elle devient clairement … inutile car elle devient un court-circuit !

Comment améliorer tout ça ?

Méchante capacité !

Je me suis confronté à la dure réalité qui veut que les composants parfaits, ça n’existe pas. Cela est d’autant plus vrai que l’on souhaite monter toujours plus haut en fréquence.

L’impédance d’entrée devient très capacitive à mesure que la fréquence augmente, et les quelques petits tests de simulation sous Qucs m’ont donné des résultats similaires. La courbe se promène sur le bas de l’abaque de Smith même avec la charge. Malgré la présence de condensateurs de découplage en théorie parfaits et correctement dimensionnés ! Mais d’où vient ce défaut ?

Les différents éléments parasites d’une diode. La capacité de jonction est représentée par Cj. (image extraite d’un article du Hewlett-Packard Journal de décembre 1995)

Il faut chercher la réponse du côté des diodes utilisées. Il s’agit certes de diodes Schottky prévues pour cet usage et utilisables même au-delà de 10 GHz, sous les bonnes conditions. Mais elles restent entachées d’une caractéristique commune aux diodes : la capacité de jonction. Utilisée par la diode Varicap, ici elle nous pose souci !

Comment améliorer l’impédance d’entrée ?

Construction d’une diode Schottky : une anode métallique en contact avec un semi-conducteur dopé N.

Repensez à la structure d’un condensateur : deux plaques chargées séparées par un diélectrique, un espace non chargé. C’est exactement la même chose pour une diode. De part et d’autre de la jonction métal/semi-conducteur de la diode Schottky, se forme une zone non chargée nommée zone de déplétion. Sa taille est liée à la capacité de jonction, et venir polariser la diode par une tension continue va l’étirer et réduire cette capacité. Une approche faisable, mais qui va à l’encontre de l’idée de base ! On souhaite avoir une sonde passive et ne pas avoir à se traîner une alimentation supplémentaire.

Polariser la diode par une tension continue permet de réduire la capacité de jonction. L’image montre une diode « classique » construite avec une jonction PN, mais le principe reste exactement le même pour la diode Schottky.

On pourrait sinon adapter en impédance l’entrée, par l’ajout d’un filtre LC par exemple. Tentant, mais efficace que sur des bandes de fréquences étroites. On perd la largeur de bande. 😣 On peut au pire compenser un peu la capacité de jonction en insérer des résistances en série avec les diodes, mais on réalise un petit sacrifice sur la dynamique de la sonde !

Troisième piste, utiliser des diodes à capacité de jonction plus faibles. Ce qui revient à généralement prendre des diodes plus fragiles car la jonction est plus petite, donc elle tolère moins les forts courants !

Quatrième approche, qui ne demande aucune modification, consiste à insérer un petit atténuateur en entrée. Ceux-ci sont généralement bien adaptés en entrée et en sortie. De plus, l’onde réfléchie, qui passe donc deux fois par l’atténuateur, se retrouve atténuée deux fois. Le coefficient de réflexion s’effondre ; et on a une sonde capable de mesurer des puissances RF. On atténue par contre le signal entrant, il faudra le garder en tête ! Dimensionnez également correctement vos atténuateurs pour ne pas être embêté.e 😉.

L’atténuateur étend la gamme d’utilisation de la sonde passive : plus VSWR (ROS en français) est élevé, plus les ondes sont réfléchies et moins l’adaptation est bonne. (extrait du manuel de la sonde RF passive Philips PM9211)

Finalement, si on souhaite vraiment avoir une grande impédance d’entrée sur une large bande, il faudra très probablement passer par une sonde active.

Conclusion

Malgré ses défauts, je pense que cette sonde peut rejoindre mes autres équipements de test. J’estime que c’est une réussite dans ce sens. L’idée n’est de toute façon pas de réaliser une sonde de test incroyable … une vraie sonde de wattmètre RF peut coûter plusieurs milliers d’euros tandis que celle-ci m’en a coûté moins de 10 !

Elle m’a déjà rendu service en me permettant de valider le fonctionnement d’oscillateurs. Pour tester la présence d’un signal RF et d’en estimer rapidement le niveau, je pense que c’est suffisant. Quant aux mesures plus précises, je prépare d’autres projets pour cela. 😉

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